Minutes d’amour avec Marie

– Courrier spirituel –

L’effacement

On nous parle souvent de l’humilité, vertu de base pour grandir dans la vie spirituelle. On nous parle aussi de l’effacement:

  • qu’est-ce au juste que le véritable effacement?
  • Comment comprendre l’effacement en deux missions si différentes que sont, par exemple, celles de Catherine Labouré et de Catherine de Sienne ?
  • L’effacement est-il nécessaire pour tous?
  • Jusqu’où cela peut-il aller ?
  • Peut-on vivre «effacé» dans la vie active ?
  • Comment en arriver à vivre «effacé» ?
  • Peut-on, à la fois, être épanoui et effacé?

Merci d’avance pour vos réponses qui nous éclaireront à ce sujet.

Claude et ses amis

Voilà, en effet, une série de questions susceptibles d’alimenter de longues conversations. Entrons aussitôt dans le vif du sujet.

Qu’est-ce que l’effacement?

C’est le caractère de ce qui s’affaiblit ou disparaît. C’est donc la préparation ou l’action qui conduit à l’humilité, laquelle est le fondement de la vie spirituelle. Si on acquiert l’humilité, on prépare les voies du Seigneur. L’Évangile nous montre que Jean-Baptiste est l’un des plus beaux modèles à ce sujet : «Préparez le chemin du Seigneur, disait-il, aplanissez les sentiers. Tout ravin sera comblé, toute montagne ou colline sera abaissée.» (Lc 3, 4-5).

Jean s’attribue seulement le rôle d’une simple voix, la voix qui crie au désert : «Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez ses sentiers», etc. Et Jean ajoute, au sujet de Celui qui doit venir: «Je ne suis même pas digne de délier la courroie de sa chaussure» (Lc 3,16). Et encore : «II faut que Lui grandisse et que moi, je diminue» (Jn 3, 30). Voilà des sentiments d’humilité profonde qui doivent être nôtres en tout temps. Tel est notre travail de réforme intérieure, qui revient encore au premier plan.

Les ravins: ce sont nos déficiences, nos faiblesses, nos erreurs, etc. Or, tout cela doit être comblé par l’amour. Par exemple : si nous avons le vilain défaut de manquer à la charité, de verser dans l’orgueil, de nous mettre en colère à propos de tout et de rien, de manquer de générosité, etc., nous pouvons prendre des résolutions pour essayer de limiter le nombre de nos fautes, de nos erreurs. Les résolutions sont nécessaires, bien sûr, mais si notre volonté est uniquement tournée vers ce moyen, nous risquons de sombrer dans l’inquiétude ou la déception, car des faiblesses, nous en aurons encore et le diable ne ménagera pas les occasions imprévues pour nous faire oublier nos bonnes résolutions et nous faire retomber dans une faute d’habitude.

Par contre, si l’on met l’accent sur l’amour: aimer Dieu et le prochain, et tout ce que cela comporte de don, de pardon et d’abandon, eh bien, la montée sera beaucoup plus rapide, car les montagnes et les collines, c’est-à-dire les vaines prétentions de l’orgueil, les impatiences, l’égoïsme, etc., seront supprimées par l’amour, l’amour vrai qui fait qu’on s’oublie, qu’on donne et qu’on se donne pour Dieu et les autres; cela dans l’accomplissement du devoir d’état d’abord, puis dans l’apostolat.

Moyens à prendre

  • s’effacer, c’est s’oublier; c’est faire passer le goût de l’autre avant le nôtre;
  • s’effacer, c’est sacrifier son point de vue pour étudier celui de l’autre;
  • s’effacer, c’est aimer même quand on nous rabaisse, qu’on nous méprise ou qu’on nous calomnie;
  • s’effacer, c’est préparer la route de l’autre, comme Jean-Baptiste l’a fait, et c’est en même temps préparer son bonheur, car plus on donne, plus on est heureux. Quelle différence avec l’égoïste qui ne cherche qu’à recevoir!

Comment en arriver à l’effacement

L’effacement, qualité de ce qui disparaît, ne nous oblige pas à garder les dernières places, à ne pas être en évidence, etc. Jean-Baptiste nous donne encore l’exemple à ce sujet. Il prépare le chemin du Seigneur, il ne donne pas sa place. Il accomplit son rôle tel que le demande sa mission.

Mais il accomplit sa mission dans la parfaite connaissance de son indignité. Pourquoi en est-il ainsi? Parce que, grâce à sa pureté, la lumière divine lui révèle la grandeur de Celui qui vient et qu’il annonce.

Quand l’âme est pure, non souillée de fautes sans cesse commises, elle plaît à Dieu. Or, l’âme la plus pure, qui a plu à Dieu dans toute la beauté de la grâce, de sa pureté virginale, nous le savons, c’est l’Immaculée. Quelle importance que la pureté! C’est par Marie, la Toute Pure, que Dieu a passé pour nous donner Son Fils Jésus.

Marie, à son tour, a préparé le chemin du Seigneur parce qu’Elle était humble. Marie s’est effacée: «Mon âme exalte le Seigneur et mon esprit exulte en Dieu, mon Sauveur. Il s’est penché sur son humble servante, désormais toutes les générations me diront bienheureuse.» À son tour, le Christ s’efface pour faire connaître le Père. Il donne sa vie pour tous en nous apprenant à aimer.

Invitation à l’apostolat

«Préparez le chemin du Seigneur», cette parole de Jean-Baptiste est aussi une invitation à l’apostolat. Invitation qui nous est adressée, non seulement par Jean, mais encore par Jésus qui a voulu faire de chaque chrétien un collaborateur de son oeuvre rédemptrice. Nous devons en être fiers, mais nous ne devons pas oublier qu’il en résulte pour nous une lourde responsabilité : le salut de nos frères dépend aussi de la générosité avec laquelle nous collaborons à l’oeuvre du Christ.

Nos intérêts doivent être les intérêts de Dieu. Chargeons-nous des intérêts de Dieu, II se chargera des nôtres. N’avons-nous pas suffisamment de preuves que Jésus et Marie s’occupent de nous?

Il suffit d’observer les commandements, de vivre selon les lois de Dieu, pour savourer les bontés que Dieu réserve à ceux qui L’aiment. Cet amour se manifeste d’une façon spéciale dans la pratique du don, du pardon et de l’abandon.

Préparer le chemin du Seigneur,

  • c’est s’effacer ou disparaître pour que rayonne le Christ;
  • c’est travailler au service de l’Église;
  • c’est s’engager dans la voie qui mène vers le Royaume.

Des missions différentes

Nous avons expliqué la nature de l’effacement, les moyens d’arriver au but; nous avons lancé l’appel à toute âme de bonne volonté. Tout se résume en peu de mots : diminuer pour que le Christ grandisse en nous; que le «moi» disparaisse pour que, par nous, rayonne le Christ. Ainsi en fut-il pour Marie.

Pénétrés de ces sentiments, il importe peu que notre action se déroule au premier ou au dernier plan; ce qui compte, c’est de laisser passer devant soi Jésus et Marie qui nous habitent, de vivre pour Eux et par Eux. C’est ainsi que la vie silencieuse d’une Catherine Labouré, pénétrée de l’amour de Dieu, sera aussi méritoire que celle, plus exigeante extérieurement, de Catherine de Sienne ou de la combattante que fut Jeanne d’Arc.

C’est l’amour qui opère l’oeuvre de transformation des âmes qui en arrivent à vivre en conformité à la Volonté de Dieu, dans une grande fidélité, portant ainsi en elles des richesses surnaturelles et la puissance de les communiquer aux autres.

Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, de son lit de malade, nous éclaire à ce sujet : «Ma vocation, je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour.»

Cette vocation d’amour, qu’elle soit silencieuse et cachée, ou extérieure et en butte aux difficultés de toutes sortes, est source de joie, d’un enthousiasme paisible et consolant. Avant sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, saint Paul avait aussi affirmé avec fermeté sa qualité d’apôtre et l’étendue de sa mission spéciale.Certitudes de la mission, certitudes de l’amour qui envahit, les deux s’engendrent mutuellement.

Mission de prière silencieuse et d’immolation obscure, mission d’enseignement ou d’activité pour exercer l’une ou l’autre forme d’apostolat, toutes les missions divines par lesquelles l’Esprit édifie l’Église en chaque époque de sa croissance, exigent que ces âmes soient vraiment possédées par Dieu. La présence mystérieuse de Dieu est dévoilée dans les âmes par la fécondité: «Vous les connaîtrez à leurs fruits.» C’est le signe qu’Il donne pour reconnaître ses véritables envoyés.

Et ces envoyés sont plus qu’un instrument ou qu’un serviteur, plus qu’un apôtre, ils deviennent des amis qui réalisent les desseins de Dieu : «Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ignore ce que va faire son maître; je vous appelle amis parce que tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaître», disait Jésus après la Cène (Jn 15, 15).

L’effacement peut conduire à l’amitié la plus belle, la plus pure, à l’amitié la plus consolante et épanouissante : celle de l’âme avec Celui qui est l’Amour même. Rappelons-nous cette pensée tonifiante : il n’est pas de bonheur plus grand que celui d’aimer jusqu’au bout; d’aimer les autres en Dieu et pour Dieu.

L’âme qui avance ainsi dans la vie, totalement pénétrée de Dieu, n’a plus qu’un seul souci : la gloire de Dieu et le bien des âmes. Mue par ce seul désir de servir, elle disparaît totalement dans l’abîme de sa petitesse pour se laisser envahir par l’Esprit Saint qui, pour le bien de l’Église, la dirige selon la sagesse divine, laquelle confond les Grands parce qu’elle est folie pour les hommes.

Cette collaboration entre Dieu et l’âme, toutes ces splendeurs d’humilité et de puissance ne sont qu’un pâle reflet de la beauté de l’Oeuvre que le Saint-Esprit édifie : chef-d’Oeuvre de la Miséricorde divine, car Jésus qui a versé son sang pour l’Église continue d’immoler ses victimes après les avoir chargées des dons merveilleux de sa grâce. Tant qu’il y aura des âmes à sauver, nous devrons collaborer au Plan d’amour du Père, si vraiment nous voulons être de dignes Fils et Filles de l’Église.

Marie-Paule

(Le Royaume, Déc.1982-Jan.1983, Numéro 7)